L’illettrisme : un frein invisible à l’autonomie quotidienne

Un obstacle majeur pour l’accès aux droits et à la dignité

Dans la vie de tous les jours, l’illettrisme entrave l’accès aux droits, à l’emploi, à la santé, et pèse lourdement sur la vie des personnes concernées. Remplir un formulaire administratif, rédiger un simple message ou lire des consignes – autant de tâches banales – deviennent d’immenses défis pour quelqu’un qui ne maîtrise pas suffisamment la lecture et l’écriture. 

Ces difficultés créent un faisceau d’indices souvent subtils : un proche qui « oublie ses lunettes » à chaque document à lire, qui évite de compléter des papiers ou de se rendre seul dans un endroit inconnu, qui prétend une entorse à la main pour ne pas écrire, etc. Autant de stratégies de contournement déployées pour masquer la honte de ne pas savoir lire. 

Mal repéré, ce handicap invisible limite la capacité à s’informer, à faire valoir ses droits et à mener une vie sociale normale, avec un risque accru de précarisation et d’exclusion. Notamment, la transition numérique complique encore la donne (illectronisme), car de plus en plus de démarches imposent de lire ou remplir des formulaires en ligne

« J’ai appris à lire à 50 ans » : le témoignage qui brise le tabou

Le courage d’Aline Le Guluche force l’admiration : longtemps restée dans l’ombre avec ses difficultés de lecture, elle a finalement osé “retourner sur les bancs de l’école” à 50 ans pour réapprendre à lire et à écrire.

L’histoire d’Aline Le Guluche, ancienne députée et militante contre l’illettrisme, illustre avec force ces réalités. Après des années à cacher ses difficultés sans jamais oser en parler, Aline a repris confiance en elle et conquis enfin le monde de l’écrit à l’âge de 50 ans. 

En revenant sur son enfance, elle témoigne de l’origine de son mal-être : « Il m’a dégoûtée de l’école, il m’a enlevé ma confiance en moi », dit-elle à propos d’un instituteur violent qui la frappait et l’humiliait en classe. 

Découragée très tôt, elle a quitté l’école sans maîtriser les bases, puis dû ruser pendant des décennies pour dissimuler son illettrisme dans sa vie professionnelle et de maman. « De nombreuses personnes n’osent pas avouer leurs difficultés à lire et écrire, et leur vie devient un enfer… l’illettrisme est une prison » témoigne Aline, décrivant l’impasse vécue par tant d’autres qui, comme elle, se sentaient piégés. 

Son déclic est venu de ses enfants : ne pas pouvoir leur lire une histoire du soir ni suivre leurs devoirs fut un crève-cœur qui l’a poussée à agir. Avec une volonté extraordinaire, Aline a suivi des cours de remise à niveau puis validé un CAP à 50 ans. 

En partageant son parcours dans son livre “J’ai appris à lire à 50 ans”, elle brise le tabou et prouve qu’il n’est jamais trop tard pour apprendre.

Travailleurs sociaux : sentinelles et accompagnateurs de la lutte

En première ligne, les travailleurs sociaux jouent un rôle-clé pour détecter, orienter et accompagner les personnes en situation d’illettrisme. Qu’ils interviennent en centre communal d’action sociale, en mission locale, à Pôle Emploi, en milieu associatif ou médical, ces professionnels sont souvent ceux vers qui se tournent les usagers pour de l’aide administrative ou sociale – moments propices où peuvent se révéler des signes d’illettrisme. 

Formés à “l’aller vers”, ils savent qu’aucun indice ne suffit à lui seul, mais qu’un cumul d’indices doit les alerter : par exemple un bénéficiaire qui déclare détester “les papiers”, qui demande systématiquement de l’aide pour écrire ou comprendre un document, qui a du mal à s’exprimer à l’oral ou à arriver à l’heure aux rendez-vous…

Face à ces situations, le savoir-faire du travailleur social tient autant à la bienveillance qu’à la technique : il est essentiel d’instaurer un climat de confiance, sans jugement, afin que la personne se sente écoutée et rassurée. Plutôt que de stigmatiser en parlant d’“illettrisme” d’emblée, on parlera de formation, de projet professionnel, de renforcement de compétences, pour valoriser la démarche sans la rattacher à un échec scolaire passé. Il s’agit de redonner confiance en s’appuyant sur les forces et réussites de la personne (son expérience, son savoir-faire, son courage dans la vie). 

Ensuite, orienter sans tarder vers des solutions adaptées est la clé : le travailleur social va proposer concrètement une aide pour se former, et expliquer qu’il existe des parcours de remise à niveau spécialement conçus pour les adultes, très différents de l’école traditionnelle. 

Cette pédagogie de la deuxième chance, centrée sur l’autonomie et le quotidien, permet de lever peu à peu les blocages psychologiques. Le maître-mot de l’accompagnement social reste le volontariat : il faut convaincre sans contraindre, amener la personne à devenir actrice de son parcours de retour vers les mots.

Concrètement, les travailleurs sociaux disposent aujourd’hui de plusieurs outils et relais pour agir. Par exemple, l’outil numérique EVA (Evaluation des Acquis de base) permet, via des mini-jeux, d’évaluer de façon ludique les compétences de base d’un usager en difficulté et d’identifier vers quel dispositif l’orienter. 

De même, un numéro Info Service gratuit existe depuis 2013, piloté par l’ANLCI : le 0 800 11 10 35, que le travailleur social peut appeler (avec l’accord de la personne) pour obtenir conseils et coordonnées de structures locales capables de prendre en charge la situation. 

Ce service mobilise le réseau national des Centres Ressource Illettrisme (CRI) présents dans chaque région : de véritables hubs qui coordonnent les actions de formation de base, les cours de français et les ateliers d’alphabétisation à travers le territoire. S’orienter vers un CRI ou une association spécialisée permet de construire un parcours de formation individualisé : ateliers collectifs en petit groupe, cours du soir, formation en alternance, etc., autant de solutions pour réapprendre à tout âge. 

« Réapprendre, à tout âge, c’est possible », insiste d’ailleurs le message de l’ANLCI – personne n’est condamné à rester enfermé dans l’illettrisme.

Mobilisation collective : former, innover, témoigner

La lutte contre l’illettrisme est un effort collectif réunissant de nombreux acteurs auprès desquels les travailleurs sociaux peuvent s’appuyer. L’Agence Nationale de Lutte contre l’Illettrisme (ANLCI) pilote cette mobilisation depuis 20 ans, avec pour credo affiché que « l’illettrisme n’est pas une fatalité ». Elle anime un réseau multi-sectoriel (éducation, emploi, action sociale, culture…) et développe des outils de repérage et de formation. Par exemple, l’ANLCI et l’Unaforis (réseau des écoles de travail social) ont signé en 2023 une convention ambitieuse : intégrer l’illettrisme dans la formation initiale des futurs travailleurs sociaux. Quatre modules pédagogiques sont en cours d’élaboration, dont un tronc commun de sensibilisation et des volets sur la communication avec le public et l’individualisation des parcours. L’objectif est de « réoutiller les professionnels » sur ces questions trop souvent négligées par le passé, afin que chaque assistant social ou éducateur connaisse les bons réflexes face à un usager en difficulté avec l’écrit.

Sur le terrain, des initiatives inspirantes se multiplient. Des binômes bénévoles formés spécialement accompagnent des apprenants dans leur réapprentissage (comme le fait l’association Mots et Merveilles à Maubeuge, ou les programmes de mentorat en entreprise). Des médiathèques innovent en proposant des ateliers de lecture facile pour adultes, ou en accueillant des permanences d’écrivain public pour aider aux démarches. Partout en France, les ambassadeurs de La Chaîne des Savoirs font entendre la voix des premiers concernés : cette association regroupe des adultes anciennement illettrés qui témoignent de leur parcours pour convaincre leurs pairs que c’est possible, et pour sensibiliser les professionnels. Organisés en 14 groupes locaux ou “maillons”, ces ambassadeurs vont à la rencontre de ceux qui, comme eux, ont des difficultés avec les savoirs de base, afin de « faire sortir de l’ombre » ce problème et revendiquer le droit de réapprendre à lire, écrire, compter partout en France. Leurs interventions publiques – notamment auprès des travailleurs sociaux, des élus, des écoles de service social ou même des entreprises – contribuent à changer le regard sur l’illettrisme en montrant qu’il touche monsieur-tout-le-monde et qu’on peut s’en sortir.

Enfin, chaque année en septembre, les Journées Nationales d’Action contre l’Illettrisme (JNAI) fédèrent pendant une semaine des centaines d’actions de terrain. Cette dynamique collective, coordonnée par l’ANLCI, met en lumière le travail de tous ces acteurs de l’ombre et rappelle à la société que savoir lire et écrire est un levier fondamental d’inclusion. Pour les travailleurs sociaux comme pour le grand public, c’est l’occasion de s’informer, d’échanger des pratiques et de renouveler un engagement : personne ne doit rester au bord du chemin. 

Ensemble, en libérant la parole autour de l’illettrisme et en multipliant les initiatives, on peut redonner confiance et autonomie à des milliers de personnes

La reconquête des mots est un combat à la fois inspirant et militant, porté au quotidien par des héros discrets – travailleurs sociaux, formateurs, bénévoles, apprenants – qui refusent la fatalité et prouvent que la solidarité peut briser le cercle de l’illettrisme.

« On a la capacité d’apprendre à tout âge », rappelle Aline Le Guluche dans son interview. Ce message d’espoir est plus que jamais d’actualité.

 

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Journées Portes Ouvertes

25 janvier 2025 : Campus de Nice (10h-17h)
1er février 2025 : Campus de Draguignan (10h-17h)

En raison de l'alerte orange, l'école sera fermée ce mardi 8 octobre toute la journée.

HETIS vous souhaite
un bel été ☀️

HETIS sera fermée du 26 juillet au 24 août 2025 inclus.
Les inscriptions sur France VAE restent ouvertes tout l’été.

Une permanence par mail sera assurée
pour le CFA jusqu’au 1er août via le lien suivant :